Des squares aseptisés : comment nos villes ont tué le jeu

Je déteste les squares. L’autre jour, je me retrouve dans celui-ci avec les 3 enfants en attendant un rdv de dentiste. Que s’est-il passé pour qu’on en arrive à créer des lieux de “loisirs”, qui respirent autant l’ennui ? Des structures aseptisées, des sols en caoutchouc bien nets, des espaces trop lisses, trop propres, trop prévisibles. Rien ne dépasse, plus rien ne se transforme. Une seule activité possible : grimper ou courir.

A-t-on oublié ce que sont des enfants ? Que les enfants  aiment récolter des marrons, faire des collections, casser des bâtons pour fabriquer des abris à hérissons, construire des forteresses, et descendre la colline à toute vitesse … Chercher des grosses pierres, les porter à bout de bras, pour monter dessus, et échapper aux crocodiles,  trouver du bois mort, gratter toute l’écorce et s’en mettre plein les poches, et prendre une feuille de chaque buisson pour faire une potion….?

Quand les enfants ont tout cela , il ne se disputent pas, ils ne s’ennuient pas, il n’y a pas besoin de les surveiller, car ils sont bien trop occupés par tous leurs petits et grands projets.

Mais non, dans ce square, comme dans tous les autres, pas un bout de bois qui traîne pour construire une cabane, ils ont tous été ramassés par les gens de la municipalité. D’ailleurs, aujourd’hui, on peut lire sur le site d’une entreprise de nettoyage de parc public et sur le site de la Mairie de Paris  ““Si le parc est propre : Les enfants peuvent jouer tranquillement dans n’importe quel espace. Les feuilles mortes sont ramassées car “glissantes et dangereuses“, et que “toute branche d’arbre à moins de 2 mètres du sol doit être sciée, pour éviter que les enfants ne montent aux arbres…” .

Pas un arbre auquel monter, rien à creuser, rien à construire, et même pas de possibilité de créer une potion, les plantations sont interdites d’accès derrière leur petit grillage. Et  pour toi, parent, tu n’as ni table ni chaise pour te reposer, ou papoter, non ; tu as droit à un banc, car la municipalité t’a assigné à surveiller tes enfants qui jouent sur une structure déjà ultra sécurisée…

À ma droite, à quelques mètres de la structure de jeu,  sur la terre graveleuse, deux enfants ont trouvé le seul bâton du square et s’amusent à creuser une rigole… Quand le lendemain je suis repassée, le spot du fameux trou avait été “balisé” par 3 gros plot et des rubans blanc et rouge. Histoire que personne ne trébuche dans la rigole, et encore moins que d’autres enfants s’amusent encore à la creuser.

Quand mon fils avait 5 ans, il avait été puni à l’école car, avec un de ses copains, ils s’amusaient à l’aide d’un petit bâton à enlever les morceaux de peinture de la marelle dessinée au sol. Son copain lui donnait ensuite les morceaux, et mon fils les écrasait pour en faire de la poudre magique…

Mais ne voyons-nous pas que nos enfants n’en peuvent plus des cours bitumées, et des squares aseptisés ?

En visant le zéro risque, le zéro microbes, on empêche nos enfants d’être des enfants. On les parque dans des cours de récréation entre 4 murs, et un sol bitumé, et on se plaint qu’il y ait des tensions et des disputes… On réduit leur possibilité de jeux via ces fameuses “aires de jeux” à une seule possibilité : escalader ou courir. 

Je repense à eux l’été dernier, sur une plage de sable fin avec des copains. Ils étaient 5 à être à fond sur la construction d’un château avec des douves et une grande piscine “Dépêchez-vous la mer va bientôt monter, faut que la piscine soit creusée !! ”  “Zoé va consolider le mur !! Moi je m’occupe d’aller chercher les coquillages !! Il nous faut du ciment ! Vas -y on creuse un tunnel ! Attention la vague, les gars c’est pas assez solide, les deux petits, consolidez la muraille de droite, nous on s’occupe de la muraille de gauche !!“

Ils avaient entre 4 et 12 ans, ils étaient à fond, emballés dans leur projet. Ils ne voulaient plus s’arrêter… Je suis restée à lire sur cette plage jusqu’à 21h… Qu’est-ce que l’on était bien…  Ils ne voulaient pas partir et moi non plus..

D’ailleurs les bacs à sable ont, depuis quelques temps, disparus des squares. Question d’hygiène.

Demain, dans leur classe de CM2, il paraît qu’ils ont une nouvelle matière “apprendre à travailler sur un projet commun” …

C’est fou le nombre d’activités dirigées que l’on crée pour apprendre à nos enfants à faire ce qu’on leur empêche de faire naturellement, par mesure de sécurité, d’hygiène ou simplement pour éviter qu’ils ne se salissent. Tout comme ces structures de jeux que l’on a construites parce qu’on leur a interdit de grimper aux arbres. Tout comme les cours de motricité pour les tout-petits, les ateliers de transvasement, les séances de découverte de la nature, et même les cours de sport à 4 ans ! Tant de choses que nos enfants font spontanément avec enthousiasme, mais qu’on leur interdit ou leur reproche quotidiennement… pour, du coup, les leur recréer artificiellement.

Sans compter que, s’il y a des tensions aujourd’hui dans les cours de récré, c’est pour l’unique raison qu’elles n’ont pas été dimensionnées pour que les enfants ne se marchent pas sur les pieds, ni réfléchies pour qu’ils puissent réellement s’amuser.. Voit-on toute l’énergie que nous dépensons à gérer les problèmes que l’on a nous-mêmes créés ?

Et si, finalement, juste permettre au “bordel” de la nature de rentrer dans les parcs et dans les cours de récré, ce n’est pas finalement le meilleur moyen pour que nos enfants puissent davantage s’amuser ?

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